38- RETOUR A ROUEN

Comme je l’ai déjà écrit, avec Dal Magro nous avons voyagé ensemble depuis Marrakech – Bordeaux et Paris. Nous avons passé la matinée ensemble. Le midi nous avons déjeuné dans un bon restaurant, puis nous nous sommes quittés, nous promettant de correspondre pour reprendre contact. À cette époque, le téléphone n’était pas développé comme maintenant, c’était une denrée rare, et puis nous avions aussi oublié un peu ce système de communication.

Dal est parti à la gare de l’Est, et moi à la gare Saint-Lazare.

Rentrer aux petites Eaux, revoir Rouen, Rouen que j’avais tant dénigré, Rouen que je n’aimais plus… Et puis un revirement s’est produit en moi, j’allais revoir ma ville natale. J’avoue sincèrement que depuis mon séjour, là-bas, j’avais changé d’avis. Combien de fois, j’ai pensé à cette ville, ses environs, cette Normandie que j’avais tellement envie de revoir. Combien de fois en Indo, je me posais et reposais la question : un jour peut-être… je reverrai la Normandie.

Je suis monté dans le train, je n’entendais plus rien, je ne voyais plus rien, j’étais dans mes pensées, je ne me rendais pas encore compte que c’était fini, que je n’avais plus, à être angoissé. Ce soir, je dormirai peut-être d’un sommeil serein, je l’espère ?… Le train est parti, dernière étape, Paris-Rouen…La loco a donné un coup de sifflet à l’approche du tunnel de Pont-de-l’Arche, et puis, Oissel , et puis Sotteville la gare de triage (où nous avions été déblayer après les bombardements, lorsque nous étions à Péguy) et puis et puis, la flèche de la cathédrale, le pont aux Anglais. Je n’ai pas pu retenir mon émotion, j’avais le cœur gros de revoir tout cà. Personne n’était avec moi, personne ne s’est rendu compte de rien. De toute manière je préférais être seul. Qui aurait pu comprendre ?… Les Français ont ignoré, ou sont restés indifférents à cette guerre d’Indochine, Et moi je n’avais pas envie d’en parler conscient que l’on ne m’aurait pas écouté ni compris.
Je suis rentré, rue des Petites Eaux, où ma mère était soulagée et très heureuse de me revoir…

À cette époque, je n’avais pas 22 ans. Que de péripéties, j’avais vécu depuis ma jeunesse jusqu’à cet âge…

Mon retour rue des Petites Eaux occasionnait du changement dans les habitudes qu’avaient prises ma mère et ma sœur. Cela faisait trois années que j’avais quitté Rouen. Je n’arrivais pas à me remettre les pieds sur terre, j’étais comme un peu déboussolé de revoir Rouen, et la maison, où la misère et les
ROUEN
[...]et puis, la flèche de la cathédrale, le pont aux Anglais. Je n’ai pas pu retenir mon émotion[...]
Les restrictions n’existaient plus. Le train-train journalier était toujours d’actualité. Ma sœur toujours employée chez Grognard, haute couture à Rouen, toujours à gagner un petit salaire. Ma mère entre temps avait changé de travail, elle n’était plus tisseuse, ni ne travaillait plus chez le maraîcher Ledoux, mais femme de ménage chez différents employeurs, dont un dentiste rue Jeanne d’Arc, chez Monsieur Lecouat

Après quelques jours, je me suis rendu compte, que, ma petite solde de Caporal-Chef, ne suffirait pas pour vivre correctement. De mon côté, il n’était pas question que ma mère subvienne à mes besoins, de plus, je n’avais pas un sou vaillant en économie. La petite délégation de solde qui était allouée à ma mère, était dépensée chaque mois, cette rente avait été supprimée d’office, du fait que je n’étais plus en campagne en Indo. Il fallait que je trouve coûte que coûte, quelque chose à faire, pour améliorer ma solde, et donner une sorte de pension à ma mère. Pendant une journée ou deux, j’ai cherché du travail. J’avais l’impression que les employeurs hésitaient à m’embaucher, en raison de ma récente situation militaire, et toujours cette fameuse Indo, qui à l’époque n’était pas en odeur de sainteté en France. Je m’étais rendu compte qu’il valait mieux cacher mon récent retour d’Indochine. Ce n’était pas facile, car il fallait quand même que je dévoile mes différentes activités précédentes.

J’ai eu ma chance, grâce à l’oncle Charles, qui à cette époque était en activité de travail, comme expert-comptable, avec pas mal de relations. C’est alors que l’oncle, m’avait trouvé du travail chez un chaudronnier à Petit-Quevilly,. L’entreprise Servain, où il n y avait que deux ou trois ouvriers.

À la maison, il y avait encore un vieux vélo, que j’avais rafistolé et remis en état, et qui me servait pour faire la route, du temps perdu à Petit-Quevilly.

J’avais été chaudement recommandé, et Monsieur Servain m’avait à la bonne, il n’avait pas manqué quand même de me confier un super boulot pour commencer, et sûrement pour me tester. J’avais creusé un trou de quelques mètres cube pour y loger une citerne à fioul. Monsieur Servain était satisfait. Par la suite j’avais été vraiment employé à faire de la chaudronnerie. Nous avions monté un hangar métallique, après la place de la demi-lune vers Grand-Quevilly.. Ce hangar existe toujours, il a été aménagé et devenu un garage automobile Renault. Je ne manque jamais, quand je vais dans le coin, d’aller le voir pour me souvenir, que nous l’avions monté en plein hiver, et qu’il gelait à pierre fendre.

Ma petite détente, c’était, quand M. Servain m’envoyait faire des courses à Rouen, j’en profitais pour flâner un peu, et me retremper dans la vie dite civile.

Comme par le passé, j’apportais ma paye à ma mère, et je pouvais disposer entièrement de ma solde de caporal-Chef, ce qui me permettait de sortir au cinéma et au bal le dimanche.

Et puis les semaines, et les quatre mois de permission sont passés, et un jour, j’ai reçu du Ministère des Armées, un ordre d’affectation au 4e Régiment de Tirailleurs Marocains à Taza. J’étais encore sous contrat avec l’Armée. Pour percevoir une prime substantielle, j’avais contracté un rengagement de deux ans, lorsque j’étais en fin de séjour en Indochine. Dans mon for intérieur, j’étais content de repartir. Ma mère avait vu l’enveloppe venant du Ministère des Armées, et m’avait demandé. Je lui avait expliqué que je n’étais qu’en permission, et que je devais rejoindre.

Encore une fois ma pauvre mère était désolée de me voir repartir, J’avoue que j’avais beaucoup de peine de voir ma mère pleurer à cause de mon prochain départ. Et pourtant j’étais persuadé que je ne pouvais pas faire de projets et envisager mon avenir à Rouen

De toute manière j’étais obligé de rejoindre, sous peine de voir les gendarmes faire des recherches et venir à la maison.

Le plus difficile, avait été d’expliquer, à ma mère qui, en fin de compte, s’était fait une raison pour mon départ. Restait mon emploi chez Monsieur Servain, j’avais été chez lui pour l’informer, que je n’envisageais pas de rester dans son entreprise. Fortement surpris il m’avait demandé si je ne me plaisais pas ? . Je pense que Servain était un peu militariste sur les bords, car en fin de compte, après mes explications, il avait bien compris ma démarche.

L’oncle Charles aussi avait été un peu déçu, par contre lui se doutait bien, que ce n’était qu’un travail provisoire.

En fin de compte, j’ai rejoint le 4e R.T.M. à Taza au Maroc le 3 .janvier 1 950.